Conduire en Iran

WTF Iran #1

6 Mars 2019 – 3h30 du matin

Vous voilà débarquée à Téhéran, fraîchement sortie de l’avion. Avant-hier, sur un coup de tête, suite à un fabuleux reportage Arte sur les mystères de la Perse, vous avez décidé de quitter votre job, votre appart, votre petit chat et vous avez pris le premier ticket low cost que vous avez trouvé. Sereine, vous avez choisi de faire le visa à l’aéroport pour gagner du temps en formalités.

7h30

Votre visa en main, vous êtes persuadée d’avoir quand même gagné un peu de temps par rapport aux procédures que vous auriez dû suivre en France. Sûre.

8h30

Vous avez manqué de peu le premier métro, il y a 25 minutes, mais le deuxième arrive déjà. La chance est décidément avec vous et vous sentez que l’Iran vous sourit.

9h30

Vous sortez du métro. C’était l’heure de pointe et vous et votre sac n’avez pas eu beaucoup de place sur les quelques dernières stations. Mais ca fait partie de l’expérience iranienne, et vous adorez ! Vous souriez doucement avec nostalgie en pensant à la ligne 13 du métro parisien.

9h43

L’hôtel avait beau être littéralement à la sortie du métro, il vous a fallut traverser une rue. Cela vous a pris 13 minutes exactement. Sans doute la fatigue et le décalage horaire (2h30 de plus que la France) vous ont fait légèrement délirer. Les feux de signalisation détraqués, la circulation indescriptible, les sens interdits en marche arrière, les demi-tours, tout cela sur 50 mètres devant vous, entre vous et l’hôtel ? Impossible ! Et les voitures ne peuvent pas toutes être blanches. Non.

Vous vous accordez 30 minutes de sieste avant de prendre la température de la ville. Vous y verrez plus clair dans une heure.

13h43

Cette petite demi-heure de sieste a certainement dû être salvatrice. Vous sortez.

13h44

Bon.
Le décalage horaire sans doute continue-t-il à se faire sentir ?

13h52

Vous avez traversé la rue ! Vous êtes fière ! Déterminée, vous marchez tranquillement, prête pour une nouvelle aventure.

13h59

Déjà une nouvelle aventure. Cette fois ce n’est plus une rue, mais un carrefour qu’il vous faut traverser. Vous observez les feux pour savoir quand sera votre tour, mais là aussi ils semblent détraqués. Ça clignote rouge, ça clignote orange, tout le monde passe de toute façon.

D’aventureux piétons commencent à slalomer entre les voitures. Vous arrêtez de respirer. Des fous ! Des têtes brûlées ! Il y a même un enfant en bas âge avec eux. C’est inhumain de risquer la vie d’un enfant comme ça !

15h

Vous voilà attablée à la terrasse d’un café. Vous avez raconté votre aventure à l’aimable serveur, un peu hipster, qui est venu prendre votre commande. Il rit doucement, mais vous sentez bien qu’il ne se moque pas. Il est gentil. Il vient s’assoir avec vous et entreprend de vous rassurer : vous n’êtes pas la première touriste interloquée par le système de circulation iranien. Il est gentil, il n’y a pas grand monde, vous décidez de le questionner un peu.

18h

Bon.
Vous avez tout compris.
Vous reprenez un thé pour vous remettre de vos émotions. La pratique attendra.

Vous restez dubitative sur les feux détraqués mais bon. A priori, lorsqu’ils clignotent orange, ça veut dire qu’il faut faire attention, mais que vous avez la priorité. S’ils clignotent rouge, c’est que vous n’avez pas la priorité, mais vous passez quand même, il faut faire doublement attention.

Vous supputez qu’il en va de même pour les feux clignotants en forme de bus, et vous êtes capable de concevoir un système où des feux en forme de flèches indiqueraient plus ou moins des priorités vers la droite ou la gauche.

Vous maîtrisez globalement les feux. De toute façon, vous n’avez pas prévu de conduire ici. Tout le monde sait que les gens conduisent particulièrement mal dans les capitales.

Là où votre cerveau n’est pas apte à comprendre, c’est pourquoi dépenser de l’argent pour tracer des lignes, alors que le concept de rester dans sa voie, que vous avez appris à l’auto-école, semble étranger aux Iraniens. Il vous semble même que chez vous, on ne double pas par la droite, qu’il y a une histoire de clignotant, de distance de sécurité aussi… « C’est une autre culture » comme dirait Numerobis.

Vous ne conduirez pas ici de toute façon.

En tant que piéton, pour traverser une rue, le serveur hipster vous a bien expliqué : les voitures sont prioritaires. Il faut avancer progressivement en attendant le moment propice. Ne pas se précipiter, ça fait peur aux conducteurs.

Être patient.
Confiant.
OK.

Il vous a conseillé de vous entraîner pas loin du café, là où la route fait 5 voies. Ses explications sont claires et vous êtes sûre de vous. Vous irez juste après le thé. La nuit sera juste tombée, les voitures feront beaucoup plus attention!

15 mars

Vous maîtrisez tellement bien la circulation aujourd’hui, plus rien ne vous étonne et vous ne retenez même plus votre respiration quand votre chauffeur est à 25 centimètres de la voiture de devant. Lorsque la voiture de derrière est à plus d’un mètre de la vôtre, vous vous dites que le conducteur doit être un enfant de 9 ans perché sur deux coussins qui apprend à conduire. Vous souriez avec tendresse en pensant aux ridicules règles de sécurité que vos 4 000 heures de conduite vous ont inculquées en France. Vous étiez bien naïve… Les distances de sécurité ? Pas besoin, ici, tout le monde est pilote. D’ailleurs vous n’avez pas vu le moindre accident (pour l’instant).

Quand une rue est en sens interdit, vous avez bien compris qu’on pouvait tout à fait la prendre en marche arrière. Oui, la voiture reste dans le bon sens !

Les feux ? Ce qui compte, c’est de bien s’arrêter quand le feu est rouge sans clignoter.

Rester dans sa voie ? A quoi ça sert ?

Vous vous amusez beaucoup des demi-tours que certains chauffeurs effectuent : il s’agit du fameux u-turn. C’est lorsqu’un petit parapet empêche le conducteur de franchir la voie – c’est-à-dire presque tout le temps. Il doit donc faire 5 kilomètres dans un sens, faire demi-tour, puis refaire en sens inverse les 4,35 kilomètres qui le séparent de la destination.

Vous n’avez même plus mal au cœur quand ça tourne ou que ça slalome entre les voitures !

Côté piétonnisation, vous êtes désormais détendue lorsqu’il faut traverser les routes à 6 voies ou les grands carrefours. Le serveur avait raison. Il faut être patient, tranquille, confiant.

Et puis c’est vrai que le blanc va bien aux voitures.

Vous maîtrisez la circulation iranienne.
Ou en tout cas vous la comprenez.

Mais vous n’avez pas prévu de conduire ici.

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