Nooshabad ou la légendaire cité souterraine

C’était un soir de printemps. Nowruz était passé depuis plusieurs semaines déjà, et la terre commençait à se réveiller. Un homme – appelons-le Ali Reza – creuse dans sa cour.

Nous sommes dans une région désertique de l’Ouest de l’Iran, dans une petite ville à 5 kilomètres de Kashan : Nooshabad. Un tremblement de terre est survenu quelques jours auparavant, endommageant bon nombre d’habitations, dont le puits qu’Ali Reza essaie maintenant de renforcer. C’était il y a 13 ans, et Ali Reza grommèle en creusant. Il n’aime pas les tremblements de terre, et encore moins creuser des puits. Comme un échos à ses imprécations contre la terre, trop peu meuble à son goût, le sol s’effondre soudain sous ses pieds, et Ali Reza tombe de plusieurs mètres.

En visitant la cité souterraine, on peut encore voir le trou qu’a fait « Ali Reza » en chutant depuis le puits qu’il creusait à la surface.

Pour que le lecteur puisse comprendre l’histoire, il nous faut ici raconter un épisode antérieur. Plusieurs années auparavant, encore jeune homme, Ali Reza s’est fait maudire par son grand-père. Il faut dire que le grand-père d’Ali Reza adore raconter des histoires, et encore plus des histoires invraisemblables. Sa préférée concerne une cité légendaire, enfouie sous terre depuis des siècles, à l’abris des hommes. Enfant, Ali Reza avait adoré cette histoire et, comme tout petit garçon qui se respecte, il avait joué des heures durant à faire revivre cette cité séculaire. Mais jeune adulte, si l’histoire demeurait jolie, elle n’en était pas moins une histoire pour enfant : elle ne le concernait plus. Il avait eu le malheur de le dire un peu frontalement à son grand-père, et s’était fait maudire dans les formes. C’est que son grand-père aimait les formes.

Toujours est-il qu’Ali Reza se repend soudainement de son incrédulité lorsque son dos heurte brutalement le sol d’un boyau, plusieurs mètres sous sa cour. Il n’y a qu’une malédiction pour expliquer qu’il se soit fait aussi mal sur une aussi courte chute.

Malgré sa douleur, Ali Reza passera plusieurs jours à explorer les tunnels qui s’enfoncent sous sa maison et s’étendent sous sa ville. Il sera rejoint dans son exploration par ses voisins, mais ils mettront beaucoup de temps avant de trouver les limites de ce dédale souterrain qui s’est brusquement dévoilé et qui s’étend sur environ 4 kilomètres.

Alors d’accord, cette histoire est un peu romancée – nous manquons de sources. Mais c’est comme cela qu’elle s’est déroulée dans les grandes lignes. Le lecteur peut nous croire sur parole : de un, nous ne mentons jamais, et de deux, la cité souterraine légendaire de Nooshabad (ou Oyi) existe bel et bien – nous l’avons visitée.

Aussi vaste que la ville qui la recouvre, elle est bâtie sur trois étages et s’enfonce jusqu’à 18 mètres de profondeur. Construite à l’époque sassanide, il y a 1 500 ans, elle est à l’origine conçue pour se cacher des envahisseurs. Pour cela, elle communique avec chacune des habitations, grâce à un tunnel creusé sous le four de chaque maison. D’autres entrées publiques sont disséminées dans la ville et son fort, suffisamment bien dissimulées pour que la cité cachée n’ai jamais été découverte.

L’arrivée d’un des puits d’air. Dans cette salle, l’air est moins humide et moins lourd grâce à l’arrivée d’air depuis la surface.

Complètement autonome, la ville souterraine possède deux puits d’air par étage, l’un de 11 mètres de profondeur et l’autre de 5 mètres, afin que le différentiel de pression assure une bonne circulation de l’air. En plus des nombreuses chambres qui accueillent les familles en cas de raid, des salles sont dédiées aux réserves d’eau et de nourriture, quand d’autres abritent des toilettes. Pour la lumière, on brûle des mélange de graisse et d’eau, ce qui permet de dégager moins de fumée. Enfin, pour assurer la protection de la ville souterraine, de nombreux pièges sont mis en place : les couloirs sont incurvés pour décourager l’ennemi de voir autre chose qu’un trou, des recoins sombres sont aménagés pour placer des gardes cachés, des gouffres surgissent de nulle part dans les salles… Bref, les habitants ne manquent pas d’imagination.

Un piège destiné aux potentiels envahisseurs qui seraient parvenus à découvrir la cité. Il s’agit tout simplement d’une entrée au dessus de laquelle un soldat se cache (dans le renfoncement sombre en haut de la photo), en position de force pour atteindre l’adversaire qui ne le voit pas.

Au cours du temps, alors que les dangers se font plus rares mais la chaleur toujours écrasante en été – nous vous rappelons que nous sommes dans un désert – la ville change de vocation et sert progressivement de résidence secondaire, pour se protéger de ladite chaleur. Ce second usage étant beaucoup moins crucial pour la survie des habitants, ceux-ci s’en détournent insensiblement.

Mais un jour, un tremblement de terre détruit la ville extérieure. Il faudra dix ans à ses habitants pour la reconstruire et – occupés à la surface – pour oublier le dédale souterrain, dont la plupart des tunnels d’accès ont été ensevelis. C’est ainsi que la ville cachée de Nooshabad entra doucement dans la légende, se contentant pendant des siècles de n’exister qu’au travers des récits et des malédictions des grands-pères.

PS : Merci au vrai Ali Reza pour toutes ses explications. Si jamais vous voulez visiter les alentours de Kashan avec lui, n’hésitez pas à lui envoyer un message. Vous trouverez ses coordonnées ici (page en construction).

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