Petit guide pratique de survie pour Nowruz

Mardi 19 mars, dans la banlieue de Shiraz…

Nous sommes, ce mardi 19 mars 2019, à Shiraz, dans le sud de l’Iran. C’est le soir, le printemps n’a pas encore commencé, et il pourrait faire frais si des centaines de feux sauvages n’avaient pas été allumés dans les rues. Mais pour l’heure, occupées que nous sommes à sauter par-dessus lesdits feux sans brûler notre tunique ni nos foulards, et à tenter d’accorder notre pas de danse sur nos voisins, nous sommes très loin d’avoir froid. Un peu plus tard, assises en tailleur sur un tapis posé à même le bitume – un Iranien sans tapis n’est pas un vrai Iranien – autour d’une chicha au goût non identifié (chewing gum ? hôpital ?), nous assistons à un lancer de lanterne. Raiponce en Iran. Et sur un tapis.

Cette soirée était géniale… et complètement incongrue. Elle vient après une semaine de galères, à chercher des bus et des guesthouses disponibles. A chaque fois, notre interlocuteur nous regarde gravement et nous explique l’air légèrement étonné de notre ignorance : « C’est Nowruz ». Et puis, l’air prévenant, il ajoute : « Ce sera comme ça pendant les deux prochaines semaines ». Certes…

Nous savions bien que l’on vivrait le nouvel an iranien – aussi appelé Nowruz -, mais nous n’avions pas pris la mesure de ce que cela impliquait. Parce qu’on est sympas, et que vous vous retrouverez peut-être un jour, vous aussi, en plein Nowruz, voici un petit guide pratique du Nowruz réussi.

La fête de Nowruz (Now, Nouveau, et Ruz, Jour) est la plus importante des fêtes iraniennes. Elle a lieu à l’équinoxe du printemps, et marque à la fois le début du printemps et le nouvel an du calendrier iranien. Pour l’occasion, le gouvernement accorde 4 jours fériés mais, comme elle tombe au début de vacances scolaires, Nowruz (qui techniquement dure 13 jours) correspond en fait à 2 semaines de vacances en famille pour les Iraniens.

Nowruz est une fête qui remonte au zoroastrisme, et elle est célébrée (avec quelques variantes régionales) en Asie centrale depuis plus de 3 000 ans. Aujourd’hui encore, plus de 300 millions de personnes, réparties sur plus de 10 pays, en accomplissent les rites chaque année – au point que l’UNESCO l’a inscrite sur la liste du patrimoine culturel de l’humanité au nom de 12 pays, dont l’Iran. Évidemment, nous n’avions pas réalisé l’ampleur de la chose.

Nowruz ne s’improvise pas. On commence par un grand nettoyage de printemps, et l’on s’achète de nouveaux vêtements et des fleurs. Il faut ensuite faire provision de fruits, de pâtisseries et de thé, puis dresser la table des Haft Sin.

Les Haft Sin

Les Haft Sin corresponde à sept (haft) objets commençant en farsi par la lettre s (sin). Ces sept objets correspondent aux sept créations de l’Iran antique (la terre, les eaux, le ciel, le feu, les plantes, les animaux, et enfin les êtres humains) et aux sept immortels zoroastriens qui les protègent.

S’il n’y a pas de liste officielle, les mots commençant par s ne sont pas si nombreux, et l’on retrouve souvent les même éléments :

  • Des somaq, ou baies de sumac, dont la couleur rappelle le lever du soleil
  • Du sîr, ou ail, pour la santé
  • Des sîb, ou pommes, pour la bonne santé mais également pour la beauté
  • Le serkeh, ou vinaigre pour l’âge et la patience
  • Le sonbol, ou la jacinthe, qui représente l’arrivée du printemps
  • Des sekkeh, ou pièces pour la prospérité
  • Des sabzeh, ou pousses de blé (parfois d’orge ou lentille) qui symbolisent la renaissance
  • Du samanu, une pâte très sucrée faite de blé germé et qui symbolise l’abondance
  • Du senjed, le fruit de l’olivier de Bohême, aussi appelé arbre du paradis, qui représente l’amour

On peut également trouver sur ces table des bougies allumées pour le bonheur, un miroir pour le reflet de la vie, des pâtisseries, des œufs peints pour la fertilité, de l’eau de rose, un drapeau iranien, un livre (souvent le Coran, mais parfois l’Avesta ou encore un livre de poésie)…

On y trouve également presque toujours des poissons rouges dans un bocal, symbole de vie probablement hérité de Chine.

Voici par exemple les Haft Sin de notre guesthouse de Yazd.

Vous pouvez y voir des pommes, des poissons rouges, un miroir, une bougie, une jacinthe, de l’ail, des pièces d’or, des germes de blés, un Coran, des baies de sumac, etc.

Un autre exemple des Haft Sin, cette fois dans un café de Tabriz qui fait d’excellents cappuccinos !

Les possibilités sont donc nombreuses et chaque famille compose sa table avec la plus grande attention : non seulement elle sera jugée dessus pendant les 13 jours que dure Nowruz, mais de sa table des Haft Sîn dépend le déroulement de la nouvelle année.

Chaharshanbeh Suri ou la fête du feu

La fête du feu est célébrée par les Iraniens depuis au moins 1 700 ans avant JC. Littéralement, c’est la fête du dernier mercredi de l’année (Chaharshanbeh signifie mercredi et Suri fête), mais on la fête en fait (attention jeux de mot) la veille du dernier mercredi, soit le dernier mardi soir de l’année iranienne.

Les familles sortent à la nuit tombée et se réunissent pour allumer des feux dans les rues, danser et lancer des feux d’artifices. Il faut alors sauter au-dessus du feu en prononçant une phrase rituelle que nous n’avons jamais réussi à répéter correctement mais qui signifie en théorie « mon jaune pour toi et ton rouge pour moi », c’est-à-dire qu’on donne au feu sa maladie (son jaune) et qu’on lui prends sa force (son rouge).

Selon les régions, ils y a plein d’autres rites à respecter, comme jeter depuis son toit une cruche non utilisée pendant l’année ou sauter plusieurs fois dans des sources. Nous nous sommes quant à nous contentées de fumer une chicha en regardant des enfants de 5 ans toucher le feu avec beaucoup de conviction, sans se laisser décourager par les brûlures, ou tenter de tuer quelqu’un en lançant des pétards au hasard. Une très bonne soirée en somme.

Nowruz

Nowruz à proprement dit est donc le premier jour de l’année iranienne. Il est alors impératif d’être en famille. Tout le monde se réunit autour de la table des Haft Sin, vêtu de ses nouveaux vêtements, et on échange des cadeaux.

On va ensuite rentre visite à ses anciens, puis au reste de sa famille, puis à ses amis et voisins. Cela représente évidemment beaucoup de monde, et les visites s’étalent sur les 11 jours suivant.

Même si l’on ne reste à chaque fois que 30 minutes à une heure, il est de bon ton de manger et de prendre une tasse de thé – vous voyez où passent les provisions de fruits, de pâtisseries et de thé. A la troisième visite de la soirée nous avions rencontré la moitié du village et fait une overdose de sucre.

Sizdah Bedar, ou le 13e jour

Nowrus dure 13 jours, et le dernier jour s’appelle Sizdah Bedar, littéralement « le treizième dehors ». Ce jour-là, toutes les familles sortent pique-niquer dehors, et en profitent pour jeter à l’eau le sabzeh (les germes cultivés depuis le nouvel an), qui contient la maladie et la malchance de la maison.

C’est officiellement la fin de Nowruz, et vous avez maintenant un an pour vous remettre des quantités astronomiques de pâtisseries ingurgitées pendant ces deux semaines 😉

PS : il faut sauver les poissons rouges

Près de 5 millions de poissons rouges meurent chaque année à Nowruz, soit dans leur bocal, soit parce qu’ils sont relâchés dans les rivières et les étangs. Ce phénomène a atteint une ampleur telle que de nombreuses associations militent désormais pour un Nowruz sans poissons, ou du moins sans poissons vivants.

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