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Les Jeux mondiaux nomades

Au Kirghizistan, dès que vous annoncez que vous êtes Français, les gens vous parleront volontiers de foot. Les jeunes génération énuméreront tous les joueurs de l’équipe nationale de 2018 avec enthousiasme, les moins jeunes évoqueront Zidane avec émotion. Mais ici, le roi des sports n’est pas le football. Dans un pays où l’on apprend à monter à cheval avant même de savoir marcher, c’est le kok-borou qui domine – et nous avons passé bon nombre de nuits en yourte à regarder ces vidéos où, sur fond de musique épique, des chevaux se heurtent aussi violemment que leurs cavaliers.

Le Kok-Borou

Le kok-borou est un sport largement répandu en Asie Central (avec parfois quelques variations de règles et de nom). Connu depuis l’époque zoroastrienne (soit depuis plus de 2 500 ans), il est classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Le concept est assez simple : deux équipes de cavaliers cherchent à s’emparer d’une carcasse de chèvre sans tête et à la lancer dans le kazan (qui signifie « chaudron » et qui est une sorte cratère) de l’adversaire. Un lancer réussi équivaut à un point.  

Le jeu est brutal – et encore, il faut savoir que les règles ont été adapté au fil du temps pour le rendre plus pacifique. La carcasse pèse près de 35kg et les cavaliers n’hésitent pas à lancer leurs chevaux à pleine vitesse contre ceux de leurs adversaires pour les déséquilibrer. En ce qui concerne les but, les joueurs plongent le plus souvent dans le kazan avec la carcasse – et parfois même avec leurs chevaux. A côté, le football parait bien gentillet.

Le nom kok-borou signifie « loup gris » en kirghize. Une légende veut qu’à l’origine, ce jeu ait été joué par les nomades avec une tête de loup – tête qu’ils exposaient ensuite aux portes de leurs camps pour effrayer les meutes de loups. Au-delà d’un simple jeu, le kok-borou était une manière d’évaluer les aptitudes guerrières des joueurs et des chevaux.

Les jeux mondiaux nomades

Le kok-borou est le plus connu des jeux nomades, mais il est loin d’être le seul. En 2012, le gouvernement kirghize s’est lancé dans la valorisation de la culture nomade et de ses sports en créant les Jeux mondiaux nomades, une compétition sportive internationale consacrée aux sports d’Asie centrale. Le lieu ? Tcholpon-Ata, un plateau à plus de 2 000 mètres d’altitudes sur les rives du deuxième plus grand lac du monde, le lac Issyk-Koul (Kirghizistan). La date ? la première semaine de septembre, tous les deux ans.

La première édition, en 2014, avec un budget de 2 millions de dollars,  avait ainsi rassemblé 19 pays, dont bien entendu le Kirghizistan, le Kazakhstan, la Turquie et la Russie. Au programme, une dizaine d’épreuves sportives (luttes, tirs, courses, etc.) mais aussi de dressage (fauconnerie, lévriers, etc.) et de stratégie (osselets, etc.). 250 journalistes font le déplacement pour couvrir l’événement.

La seconde édition, en 2016, pour 3 millions de dollars, a vu encore plus grand : 63 pays – dont la France ! – ont répondu présent pour 23 disciplines. C’est un succès : la cérémonie d’ouverture est vue par plus de 800 millions de personnes à travers le monde et l’événement en lui-même attire près de 60 000 de visiteurs étrangers.

La dernière édition en date, en 2018, confirme ce succès. 2 000 athlètes (contre 583 en 2014) de 77 nations sont venus disputer 36 sports, parfois très éloignés de leurs pratiques nationales, comme le tir à l’arc à dos de cheval. La compétition s’est cependant ouverte à de nombreux sports des pays alentours, comme le sumo ou le bras de fer.

Un événement culturel, économique et politique

Comme tout événement sportif, les Jeux mondiaux nomades sont hautement politiques. Pour des pays peu connus au niveau international, ils sont l’occasion de célébrer les modes de vie nomades, encore largement répandus en Asie centrale et notamment au Kirghizistan, d’attirer des touristes et de contrebalancer l’hégémonie culturelle et sportive occidentale.

A cet égard, le comité organisateur revendique trois objectifs : sportif, culturel et scientifique. Si le premier est évident, le second se concrétise dans un programme culturel très riche en marge des épreuves sportives, avec de nombreuses représentations de danse, de chants, de récits épiques (pratique très importante en Asie Centrale et sujette à concours), etc. Un ethnovillage se charge de présenter les savoir-faire locaux tels que la fabrication des yourtes, du pain plat, l’art du tapis en feutre, la nourriture locale, etc., souvent inscrits au patrimoine mondial de l’humanité. D’ailleurs, la cuisine nomade et le montage de yourte ont droit à leur propre compétition.

L’objectif scientifique passe quant à lui par un travail de documentation et d’explication des modes de vie nomades, encore peu connus à l’étranger. Plusieurs conférences et séminaires sont ainsi organisés.

Les Jeux mondiaux nomades sont également un outil économique, dans une dynamique d’essor du tourisme pour un pays qui a mis fin aux visas pour les Français en 2012 et qui a accueilli plus 1,3 millions de touristes étrangers en 2017.

Sources :
Site officiel des Jeux mondiaux nomades de 2018 (en anglais)
Banque mondiale

La gestion des déchets au Kirghizistan

Anciennement membre de l’URSS, le Kirghizistan se situe entre la Chine, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan et le Tadjikistan. Ça fait beaucoup de pays en -stan. Quand on n’a jamais mis les pieds en Asie Centrale, on ne sait pas trop à quoi s’attendre de la part de cet ancien pays soviétique. Comme pour ses voisins, la chute de l’URSS a créé beaucoup d’instabilité dans le pays, et comme ses voisins, le Kirghizistan s’efforce d’adresser les questions économiques, sociales et environnementales auxquelles il fait face.

La prise en compte des questions environnementales

Le Kirghizistan est un pays très montagneux avec une forte dominance rurale. Dans les grandes villes comme Bishkek, la capitale, Karakol ou Osh, on aperçoit les montagnes aux sommets enneigés qui ne sont qu’à quelques kilomètres. Lorsqu’on voyage d’une ville à l’autre, ce n’est qu’une succession de montagnes de toutes les couleurs où des troupeaux de vaches, moutons, chèvres et chevaux paissent en liberté. D’ailleurs il n’est pas rare de les retrouver sur la route et même parfois sur l’autoroute. Et c’est normal. Au loin, on aperçoit quelques fois un cavalier solitaire sur une crête. C’est beau, c’est vert, c’est paisible et serein. Et les gens sont incroyablement gentils.

Les fabuleuses montagnes d’Alay. Ce ne sont même pas les plus belles…

Dans un pays où la nature est si belle et si prépondérante pour l’économie du pays, on commence déjà à percevoir les effets du réchauffement climatique sur les écosystèmes (sécheresse, inondations… la liste commence à devenir longue). Mais au niveau politique, on constate une prise de conscience progressive sur les questions environnementales. Les écoliers ont des cours sur l’environnement ; les nombreux CBT (Community Based Tourism) ont parmi leurs missions celles de protéger la nature, notamment des déchets, et d’éveiller les consciences locales sur l’intérêt de conserver l’intégrité de leurs paysages ; le gouvernement va expérimenter l’interdiction des sacs plastiques dans l’une des provinces du sud…

Panneau que l’on trouve près de « la petite cascade » à Arslanbob

La gestion des déchets, un enjeu politique, économique, social et environnemental

La volonté politique de développer le tourisme et les considérations économiques et sociales liées à la protection de l’environnement ont fait de la gestion des déchets, que ce soit dans les aires urbaines ou dans les aires rurales, l’une des problématiques les plus porteuses d’enjeux du pays.

Bien gérer ses déchets pour le Kirghizistan, cela signifie une meilleure qualité de vie pour les citoyens, encourager le tourisme, éviter les soucis sanitaires d’ampleur comme le développement de maladies, les contaminations, les pollutions, etc.

Entre le rural et l’urbain ; entre secteur formel et secteur informel

Pour ce qui est des zones rurales, il y a très peu d’équipements en place. Toutefois, des mesures ont été prises pour encourager les individus à mieux prendre en charge les déchets qu’ils génèrent. Dans les zones touristiques par exemple, on peut trouver quelques poubelles au niveaux des zones de campements, mais la plupart se trouvent en haute altitude où il n’y a pas de système de ramassage des déchets. Les propriétaires ou exploitants des campements sont incités à réaliser eux-mêmes ce ramassage. Mais il n’est toutefois pas rare qu’ils préfèrent enterrer les déchets à la fin de la saison. Dans le cas où les autorités le découvriraient, ils seraient soumis à une amende.

C’est pas jolie…

La gestion des déchets au niveau des aires urbaines est plus complexe. A l’instar de la plupart des pays en voie de développement, le Kirghizistan compte sur le secteur formel autant que sur le secteur informel.

Le secteur formel fonctionne globalement sur les mêmes modèles que dans les pays développés : les autorités ont besoin de financement afin de mettre en place les systèmes de gestion des déchets (prévention, collecte, traitement). Il ne peut y avoir de financement privé que dans la mesure où des retours sur investissements sont possibles.

Chacun de ces systèmes doit être adapté aux particularités géographique, sociales, culturelles etc. de la ville sous peine de ne pas être efficient. Prenons l’exemple de Bishkek, la capitale. La collecte souffre des infrastructures soviétiques, basées sur un modèle de collecte quotidienne : les poubelles sont petites et doivent être vidées tous les jours. Collecter moins souvent signifierait donc investir massivement dans les infrastructures de la ville. Un autre problème est la qualités des routes dans certaines zones, qui complexifie le passage des véhicules. Pour ce qui est du traitement, il n’y a pas de système automatique de triage des déchets : tout termine dans la décharge, à l’extérieur de la ville. Il existe des entreprises spécialisées, publiques ou privées, qui se rendent sur site pour prélever les matériaux recyclables mais la quantité de déchets est telle dans la décharge de Bishkek que la majorité sera laissée telle quelle.

C’est là que le secteur informel entre en jeu

Ce secteur informel est composé principalement d’individus pauvres qui recherchent un complément de revenus, agissant parfois en groupes plus ou moins structurés. Ils cherchent, trient et prélèvent des matériaux recyclables directement dans les poubelles ou même jusque dans les décharges, qu’elles soient officielles ou sauvages, pour les revendre ensuite aux entreprises qui vont les traiter et les revendre. Les ménages les plus organisés peuvent également faire appel à eux s’ils ont accumulé assez de déchets « précieux ».

L’importance du secteur informel dans la gestion des déchets n’est pas à négliger, bien qu’elle ne soit pas prise en compte dans les chiffres officiels. Selon les estimations, si on le prenait en compte, le taux de recyclage du pays serait similaire à celui des pays développés. Par ailleurs, si les villes devaient soudainement prendre en charge le travail accompli par le secteur informel, les investissements nécessaires seraient exorbitants et très difficiles à mettre en place sur une courte période, que ce soit en terme économique ou logistique.

La volonté politique est là

Ce système, reposant sur une coopération de fait des secteurs formel et informel a ses limites. Pour y remédier, les autorités municipales et nationales investissent progressivement pour créer ou améliorer les infrastructures et les systèmes existants. C’est le cas de Bishkek qui a investit sur les infrastructures de sa décharge. Mais faute de financement, les équipements ne sont pas encore à la hauteur des besoins de la ville selon les standards européens, par exemple en terme de triage automatique. Mais la volonté politique est là. L’optimisme nous dit qu’on est sur la bonne voie.

Longue vie au Kirghizistan et aux Kirghizistanais!

PS : En français : Kirghizistan ; en anglais Kyrgyzstan. Les habitants du Kirghizistan sont les Kirghizistanais (malgré ce que prétend notre correction automatique) et les Kirghizes sont les membres de l’ethnie kirghize. On pensait que ça méritait précision.

Les portes basses

WTF Iran #3

En visitant l’une des vieilles maisons historiques de Kashan, un œil averti s’étonnera d’une certaine particularité : certaines portes, notamment celles qui mènent aux cuisines, sont excessivement basses.

C’est pourtant spacieux…

Si vous n’avez pas l’œil averti, un aimable guide pourrait tout autant vous signaler cette curiosité, dans le but de se délecter de l’anecdote qui lui est rattachée. Les guides adorent raconter des histoires. Imaginons que vous êtes ce touriste empressé et que nous sommes le guide malicieux.

Conversation :

« Jean-Marie, j’attire votre attention sur la porte de la cuisine. Ne remarquez-vous pas qu’elle est excessivement basse? »

Peut-être les gens étaient-ils plus petits à l’époque, qu’en savez-vous? Vous êtes un peu vexé de n’avoir rien remarqué, mais dans un souci de politesse et voyant bien notre sourire en coin, vous décidez d’être le plus mature et de vous enquérir poliment, quoiqu’un peu hautainement du pourquoi du comment.

« Il y a deux explications possibles mon cher Jean-Michel. La première repose sur des principes plutôt belliqueux. On la date de l’époque des envahisseurs islamiques (entre -8 000 et la guerre Iran-Irak des années 80). Ainsi, lorsqu’un envahisseur armé se précipite pour anéantir la maisonnée, en pénétrant dans la pièce il est obligé de se baisser. Se faisant, il offre sa tête et son cou à un éventuel coup de rouleau à pâtisserie, couteau de cuisine ou tout autre objet contondant.

La seconde explication, mon cher Jean-Rémi, est plus pratique au quotidien. Selon celle-ci, la taille des portes serait adaptée à la petite taille des femmes mais pas à celle des hommes, ces géants. Ainsi, lorsqu’un homme tente de pénétrer dans la cuisine pour quémander un morceau de pain avant le dîner, il est obligé de se baisser, portant son regard vers le sol et laissant l’opportunité aux femmes présentes de réajuster leur voile en respectant les règles de la modestie et de la pudeur. « 

Nous sommes très heureux de voir votre regard perdu à la suite de cette anecdote. Notre rôle de guide est rempli, nous allons voir un autre groupe de touriste bien trop sûrs d’eux, vous laissant en pleine confusion.

Vous préférez la seconde explication. L’intervalle de date que nous vous avons donné vous semble un peu large et peu cohérent avec la période à laquelle la maison a été construite selon le panneau explicatif que vous avez soigneusement lu à l’entrée de la maison. De plus, vous étiez persuadé qu’il y avait une histoire de taille. Et d’habitude, vous avez toujours raison.

Vous prendrez bien un peu d’opium?

En Iran on peut trouver de l’alcool. Mais il faut connaître quelqu’un qui connait quelqu’un qui connait quelqu’un, et y mettre le prix. Un intrépide se risquera à tester « l’alcool maison » d’un ami d’un ami d’une connaissance, mais cette histoire se termine à l’hôpital par une discussion passionnée entre intrépide, médecins et autorités sur les circonstances à l’origine de tels taux de méthanol dans le sang.

Mais l’Iran, ce beau pays construit sur la contradiction, ne laissera pas l’intrépide se morfondre en situation de triste sobriété ou de terrible manque. C’est ainsi que tout naturellement, l’intrépide toxicomane se verra proposer, à plusieurs reprises, du haschich et de l’opium.

Et ça l’étonne.

Il s’imagine que dans la République Islamique d’Iran, si on ne plaisante pas avec l’alcool, on ne va certainement pas plaisanter avec des drogues comme le haschich ou l’opium. Mais on lui en a proposé. Une fois. Deux fois. Trois fois. L’intrépide est dérouté. Surtout par rapport à l’opium qui lui évoque de vagues images de bordels asiatiques de la fin du siècle dernier, de lampions éclairant d’une lumière rougeâtre les volutes de fumées qui s’échappent d’entre les tentures et des hommes décharnés, atones.

L’intrépide est saisi d’une crise de paranoïa. Est-ce un piège? La police à l’affut se cache-t-elle derrière la tenture du fond, prête à surgir après la première bouffée coupable qu’il aura tiré?  Ou bien l’opium serait-il vraiment toléré comme on le lui affirme?

Une fois n’est pas coutume, la réponse à cette interrogation peut être résumée de façon binaire selon les protagonistes en jeu. Pour les nomades, il s’agit d’une drogue traditionnelle et dont personne ne s’émeut. La police, à l’inverse, s’en trouvera tout particulièrement émoustillée.

Explications

En tant que drogues,  le haschich et l’opium sont interdits en Iran, mais sont relativement tolérés – par la population s’entend, parce que l’Etat, lui, prévoit jusqu’à la peine de mort. Cela s’explique notamment parce que ces drogues sont présentes depuis longtemps dans l’histoire du pays. Par exemple, la célèbre secte des Assassins du XIIIème siècle recluse dans la vallée d’Alamut, consommait du haschich pour se donner du courage avant de commettre des assassinats politiques – d’où le mot assassin, qui vient de Hashâchine. Pour ce qui est de l’opium, l’industrie pharmaceutique utilisant beaucoup les opiacés, l’Iran a dû se positionner en tant que pays producteur ou non, avec les conséquences économiques et sociales que cela implique.

Parce que nous avons été plus surprises de se voir offrir de l’opium que du haschich nous nous sommes penchées sur la question de l’opium en laissant de côté celle plus conventionnelle du haschich.

Au XIX siècle, répondant à la demande croissante de l’industrie pharmaceutique, l’Iran se positionne en pays producteur d’opium. Ce dernier se répand et se popularise au sein du pays. On commence à ouvrir des « maisons de traitement » et l’opium devient la réponse à toutes sortes d’afflictions, notamment les douleurs. Mais à mesure que l’opium devient populaire, son usage récréatif commence lui aussi à croître, et il n’est pas mal vu de prendre un thé ou un café infusé à l’opium.

Dans un souci de modernisation et d’assainissement du pays, les constitutionnalistes sont en 1911 à l’origine des premières lois anti-drogues à destination des consommateurs. Leur but est de « nettoyer » les villes des toxicomanes. Des fumeries commencent à fermer, la police fait des descentes dans les laboratoires clandestins…

En 1955, le gouvernement décide d’interdire culture et consommation d’opium, ce qui ne se fait pas sans répercussions. Premièrement d’un point de vue économique, le pays perd des revenus importants en ne fournissant plus l’industrie pharmaceutique. Le manque à gagner est chiffré à 400 000 dollars par tonne d’opium. Deuxièmement, malgré la répression, les toxicomanes s’approvisionnent sur le marché noir, notamment afghan, via les nomades qui transitent entre les deux pays.  Les fournisseurs exigent d’être payés en or, ce qui entraîne une fuite de devises.

Enfin, certains opiomanes font le choix de se tourner vers d’autres drogues, notamment l’héroïne, issue elle aussi du pavot et dont la consommation, ne nécessitant ni matériel ni rituel, est plus discrète. La consommation d’héroïne augmente singulièrement à partir de cette période.

En 1969, principalement pour des raisons économiques et géopolitiques, la culture de l’opium redevient légale, de même que son usage règlementé : les opiomanes « reconnus » de plus de 60 ans peuvent se fournir en pharmacie avec une carte issue du gouvernement. En théorie. En pratique, le coût, les conditions d’obtention ainsi que d’utilisation de cette carte étant rédhibitoires, la plupart des toxicomanes continuent à se fournir sur le marché noir.

Avec la révolution islamique de 1979, la chasse aux substances controversées est ouverte, l’opium redevient totalement illégal, mais la répression est plus particulièrement concentrée sur l’alcool. L’opium, comme l’alcool, est perçu comme un marqueur de l’occidentalisation rejetée par la révolution islamique. Les élites urbaines sont particulièrement suspectées d’être consommatrices et la sphère publique comme la sphère privée (à l’intérieur des habitations) font l’objet de descentes.

Aujourd’hui

Aujourd’hui, l’Iran n’est plus un pays producteur d’opium, et la substance demeure interdite. Mais l’Afghanistan, premier producteur mondial, alimente le marché noir européen et fait transiter sa marchandise par l’Iran. Une grande partie de l’opium en provenance d’Afghanistan n’ira toutefois jamais plus loin que l’Iran.

Mais si l’Iran reste un grand consommateur d’opium, d’autres drogues sont arrivées sur le marché, et le trafic de stupéfiants constitue un problème public de grande ampleur qui concerne les classes aisées au même titre que les classes pauvres et très pauvres (délinquance, maladies, conséquences socio-économiques au niveau de l’individu et du noyau familial…). A tel point que le gouvernement, en plus de sa politique répressive (explosion du nombre d’arrestation liées aux stupéfiants, peines répulsives dont la peine capitale), a mis en place des mesures préventives de santé publiques particulièrement progressistes. Entre autres mesures, la distribution de seringues pour éviter la propagation de maladies comme le VIH, la possibilité de se fournir en pharmacie en méthadone de substitution pour gérer la douleur et le manque…

Malgré toutes ces informations et la nonchalance que témoignent ses hôtes, l’intrépide préfère se montrer prudent et rester dans les limites de la légalité iranienne. Il refuse poliment les offres qui se succèdent – on ne sait jamais.

Sources :

Ghiabi, Maziyar. « Drogues illégales et gestion de l’espace dans l’Iran moderne », Hérodote, vol. 169, no. 2, 2018, pp. 133-151. https://www.cairn.info/revue-herodote-2018-2-page-133.htm

Mark Isaacs – Smoking Opium in the islamic republic of Iran

Les portes à deux heurtoirs

WTF Iran #2

Vous voilà arrivé à Yazd, dans la vieille ville. C’est très beau, surtout l’hôtel où vous avez décidé d’élire domicile pour quelque jours . Il y a une grande cour intérieure avec une fontaine bleue, des arbres et des fleurs, des petits oiseaux… Il y a même une wind tower en accès libre et gratuit ! Et voilà une visite en moins! Vous vous félicitez de votre choix judicieux, et vous avez raison. Comme d’habitude.

Grand prince que vous êtes, vous ne vous vexez même plus lorsqu’un autochtone n’arrive pas à se souvenir correctement de votre nom. Vous avez trouvé une parade infaillible : aujourd’hui vous êtes Jean. Juste Jean. Et Jean, c’est facile à retenir et à prononcer. Et vous avez vérifié : ça ne veut rien dire de spécial en farsi.

Dans votre fabuleuse petite cour intérieure, où le thé est lui aussi en accès libre et gratuit, vous rencontrez un hybride : moitié touriste – moitié local, il parle presque couramment le farsi et vous le voyez soutenir des conversations avec des autochtones et s’obstiner en farsi, même lorsque l’interlocuteur s’essaie à l’anglais. Vous êtes impressionné mais n’en laissez rien paraître. Il a l’air gentil. Vous avez envie d’aller lui parler. Il pourrait vous aider à aller faire quelques emplettes, il doit connaître les chiffres farsi. Vous avez toujours un peu de mal avec les rials et les tomans, et les taux de change de marché et de banques vous donnent toujours la migraine… Cet hybride pourrait constituer un atout non négligeable dans cette ville. Vous allez lui parlez.

Vous avez eu raison d’aller lui parler, cet hybride est tout à fait fréquentable et connaît bien la ville et les nombres. Vous partez donc faire des emplettes ensembles. Il vous emmène dans un dédale de petites rues étroites dont les murs des maisons sont en adobe, le torchis local. Il fait beau. Vous vous sentez bien. L’hybride vous raconte quelques anecdotes. On dirait le guide de la maison historique de Kashan, mais en moins présomptueux. Lui n’essaie pas de montrer qu’il sait mieux tout que tout le monde.

Il est sympa cet hybride. Sur cette pensée, vous vous apprêtez à lui demander son prénom. Ca fait au moins cinq heures que vous avez fait connaissance, vous pensez être devenu suffisamment familier pour lui demander son prénom. Il ne vous trouvera sans doute pas trop téméraire étant donné qu’il est hybride. Mais l’hybride vous prend de court

« Jean, as-tu remarqué cette porte? Elle a deux heurtoirs différents. Il y en a un peu partout dans les vieilles villes. As-tu remarqué ? « 

Une vieille porte perse à deux heurtoirs, sur un mur en adobe.

Vous ne savez pourquoi, mais soudainement l’hybride vous agace et vous n’avez plus envie de lui demander son prénom. Si vous n’avez rien remarqué, c’est parce qu’il n’arrête pas de parler. Vous étiez poliment concentré sur ses paroles et non sur la porte des maisons. Vous prenez une grande inspiration pour vous calmer. Ça fonctionne, vous vous détendez. Ces deux dernières semaines à pratiquer 5 minutes de méditation par jour portent déjà leurs fruits. Mais c’est aussi parce que vous apprenez sacrément vite.

Vous souriez, un peu crispé tout de même, et demandez aimablement ce qu’il y a de si extraordinaire avec ces heurtoirs. L’hybride ne remarque pas que la tension est montée d’un cran et ne se départit pas de sa verve.

« Jean, ouvre tes yeux, tu ne vois rien! »

Grand dieu, 5 minutes de méditation ne seront jamais suffisant pour supporter pareille attaque! Vous réfléchissez rapidement à le pousser sous les roues de la voiture qui arrive derrière vous. La rue est à peine assez large pour la voiture, impossible de se rater. L’hybride, qui visiblement n’observe pas si bien que ça, continue.

« Il y a un heurtoir destiné aux visiteurs hommes uniquement, l’autre pour les visiteurs femmes, chacun produisant un son différent. De cette façon, lorsqu’un visiteur utilise le premier, c’est un homme qui va ouvrir et le visiteur mâle s’en va converser avec les individus de son genre. Quand c’est l’autre heurtoir, celui dédiée aux visitrices qui est utilisé, alors c’est une femme qui va ouvrir. »

L’hybride n’est pas très bon en français. Vous alliez le lui faire remarquer mais il continue.

« Cet ingénieux système vise très certainement à enforcer les règles de bienséance et éviter quelques malentendus entre les habitants de la maisonnée. Mais bien sûr, les amoureux trouvent toujours à contourner les règles! Ainsi, lorsqu’un jeune homme veut rendre visite à sa dulcinée, ils conviennent d’une heure en se rencontrant discrètement par hasard au bazaar. A l’heure dite, l’amoureux utilise le heurtoir des femmes. Sa fiancée se précipite alors pour lui ouvrir et ils peuvent se faufiler, incognito dans quelque pièce isolée de la maison afin de vaquer à leurs affaires d’amoureux ».

La voiture est passée. Aucune autre à l’horizon. Vous pousserez l’hybride la prochaine fois. Vous lui souriez innocemment. 

Les wind towers ou la climatisation du désert

L’Iran est un pays splendide et composite. C’est à peu de choses près comme ça que nous décrivons ce pays à nos amis et notre famille. L’exemple que nous prenons généralement, parce qu’on radote, c’est lorsqu’on traverse un désert en voiture et qu’on aperçoit au loin les montagnes enneigées. A peine avons-nous le temps de nous en émerveiller que le désert cède la place à d’imposants canyons presque sortis de nulle part, les sommets enneigés toujours au loin. Puis de la steppe. Et aussi soudainement, on est dans la montagne, dans un petit village creusé à même la roche, rouge. C’est beau et c’est grandiose. On ne s’y attend pas. C’est l’Iran.

Star Wars ?

Les villes ne sont pas en reste. Ça fourmille dans les rues, la circulation est toujours impressionnante, les boutiques, petites, mais fournies, sont toujours pleines de monde. En contraste de ces lumières, de ce monde et de ce bruit, on s’émerveille devant la majesté des maisons historiques en briques ou en adobe, des jardins, des mosquées anciennes et de leurs minarets, des « Wind Towers » qui déchirent l’horizon…

La Wind Tower, « badgir » en farsi, littéralement attrape vent est l’un des exemples les plus fameux de l’ingéniosité perse pour ce qui est de la gestion de la chaleur. Désert oblige. Elles ressemblent à une sorte de grande cheminée, la plupart du temps carrées ou octogonales et percée de fentes à leur sommet. Le principe est de capter le vent au sommet de la tour depuis les fentes, de le redistribuer en bas, refroidi et d’évacuer l’air chaud accumulé dans la pièce où la tour est située. Ce système est utilisée pour refroidir les maisons, les mosquées, mais aussi les réservoirs d’eau de la ville. L’eau en resterait presque glacée pendant les mois d’été. Le touriste suspicieux de la grandiloquence de son guide reste dubitatif. Mais il s’incline lorsqu’il pénètre dans une pièce alimentée par une wind tower et remet aussi vite sa petite laine. A croire que toutes ces tours qu’il a pu voir n’ont finalement pas été un caprice devenu à la mode d’un obscur Khan.

Comment ça fonctionne?

Tout est une question d’architecture, pour capter le vent et le diriger.
Et de pression, pour faire circuler l’air.
Et de matériaux, pour limiter la transmission de chaleur.

La tour est séparée en différents conduits où circulent l’air chaud ou froid. A son sommet, elle est ouverte en fentes légèrement obliques ce qui permet d’attraper le vent et de le rediriger vers le bas. Même lorsqu’il n’y a que peu de vent, la différence de pression entre l’air chaud et l’air frais permet la circulation de l’air via les différents conduits qui séparent la tour : l’air chaud remonte, l’air frais descend. Lorsqu’il n’y a pas de vent, l’air contenu dans la tour se réchauffe, donc remonte, ce qui créée un appel d’air qui ventile la pièce où se trouve la tour.
Par ailleurs, la tour est construite en une sorte de torchis appelé adobe, mélange de terre, argile, sable, fibre naturelle. Ce matériau, à la différence par exemple de la pierre ou du métal, conduit mal la chaleur.
Souvent, on rajoute un bassin au pied de la tour pour refroidir encore davantage l’air chaud, la plupart du temps rempli par un qanat. Un qanat, c’est un très ancien système de canalisation souterraine qui récupère l’eau des montagnes et l’achemine jusque dans le désert. L’eau est très fraîche puisque jamais en contact avec le soleil.
En agrégeant le froid, notamment la nuit, l’eau permet de refroidir l’air chauffé par le soleil de la journée.

La climatisation est plus ancienne qu’on ne le croit.

La climatisation du futur?

On retrouve des sortes de wind towers en ancienne Egypte, datée autour de 1 300 ans avant JC. Aujourd’hui, des grands chantiers, notamment en Iran, les réintroduisent dans leurs projets architecturaux. Les wind towers redeviennent pertinentes.
Les matériaux utilisés pour leur construction sont économiques et durables ; le système de refroidissement ne nécessite pas de matière première et le vent est sa seule alimentation. 

Les wind towers seraient-elles la climatisation écologique du futur? Écologiques, durables, autonomes, orientables et modulables selon les vents pour plus d’optimisation, moins imposantes et plus esthétiques qu’une éolienne… C’est en tout cas une voie à explorer et à démocratiser.

Pour aller plus loin

http://www.inive.org/members_area/medias/pdf/Inive%5Cpalenc%5C2005%5CGhaemmaghami.pdf
Youtube

Ulugh Beg, le sultan astronome

Petit aparté qui va particulièrement plaire aux scientifiques qui nous lisent (mais pas qu’à eux hein !). Vous l’avez remarqué, le nom d’Ulugh Beg est souvent mentionné dans nos articles sur l’Ouzbékistan.
Peut-être le connaissez-vous, peut-être pas.

Image par LoggaWiggler de Pixabay

Ulugh Beg est des petits-fils de Tamerlan, sultan de la dynastie timouride durant la première moitié du XVe siècle. C’est donc un contemporain de Jeanne d’Arc.

Son vrai nom est Muhammad Taraghay mais il est surnommé, même de son vivant, Ulugh Beg, qui signifie « Grand Prince ».

Il est fait assassiner par son propre fils et considéré comme un martyr.

Au-delà d’avoir été un monarque éclairé, favorisant les arts et les sciences, Ulugh Beg est connu pour avoir été un astronome et un mathématicien d’envergure. Il a laissé à Samarkand plusieurs constructions, dont une des plus grandes madrassas (université) d’Asie centrale et un observatoire astronomique sans équivalent à l’époque. 

Ulugh Beg laisse également les Tables sultaniennes, réalisées avec son équipe dans son observatoire. Ces tables recensent plus de 1 000 étoiles, dont les positions furent calculées par l’équipe d’Ulugh Beg, et dont certaines sont décrites pour la première fois.

Ces tables resteront une référence pendant près de deux siècles. Transmises en Occident, elles sont une étape cruciale dans la construction de notre connaissance astronomique actuelle, au point qu’un cratère de la Lune et une astéroïde ont été nommés en l’honneur du sultan.

PS : Pour les mathématiciens qui nous lisent, vous avez surement déjà croisé le théorème d’Al-Kachi. Et bien sachez que son inventeur, Al-Kachi, fit partie de l’équipe de savant d’Ulugh Beg et travailla dans son observatoire astronomique.

Bibi Khanum, une grande reine

Vous ne connaissez peut-être pas Bibi Khanum, la légendaire épouse de Tarmerlan. Peu de textes lui sont intégralement consacrés, mais il est impossible de trouver le moindre écrit sur la vie de Tamerlan sans se pencher sur celle de Saray Mulk Khanum, dite Bibi Khanum. Alors qui était-elle ?

Saray Mulk Khanum fut une princesse mongole issue de la lignée directe de Gengis Khan. Elle fut d’abord mariée au beau-frère de Tamerlan puis, après que la mort de son époux, elle épousa Tamerlan lui-même, lui donnant ainsi le rang de Gendre impérial (un titre suffisamment important pour que Tamerlan la fasse graver sur sa monnaie).

De part son rang et sa prestigieuse ascendance, Saray Mulk Khanum était surnommée Bibi Khanum, ce qui signifie Princesse Aînée en turco-persan. Elle resta toute sa vie la plus importante des femmes de Tamerlan et fut considérée comme ayant un véritable pouvoir dans l’Empire par de nombreux ambassadeurs étrangers.

Elle a eu en effet une importance historique non négligeable, d’une part parce qu’elle a eu une grande influence sur son époux, et d’autre part parce qu’elle a régné sur son empire pendant ses campagnes militaires.

Khanum n’a pas eu d’enfant avec Tamerlan. Elle supervisa cependant l’éducation de ses héritiers, et notamment d’Ulugh Beg. A Samarkand, elle a notamment laissé une madrassa (une université), symbole de ses ambitions pour la capitale de l’empire timouride.

Son mari, juste avant sa mort, lui a également dédié une des plus grandes mosquées jamais construites à l’époque, dont les minarets atteignaient les 50 mètres de hauteurs et dotée d’un iwan monumental de 35 mètres. Célébrée par tous les artistes et les auteurs de l’époque, la mosquée Bibi Khanum fut construite en 5 ans, par 500 ouvriers, 200 architectes et artisans et 95 éléphants. En toute simplicité.

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Mais selon certaines sources, ce serait Bibi Khanum elle-même qui aurait commandé cette mosquée pour surprendre son époux à son retour de la guerre. Dans tous les cas, si le bâtiment fut rapidement endommagé par les tremblements de terres, fréquents dans cette région, la mosquée Bibi Khanum est considérée comme l’un des édifices les plus emblématiques d’Asie centrale.

Tamerlan, ou le boiteux qui conquit le monde

Tamerlan. Vous avez sûrement déjà entendu ce nom, même si vous ne savez plus pourquoi. Peut-être vous évoque-t-il de longues courses à cheval dans les steppes d’Asie centrale et de sanglants massacres. Moi je dois l’avouer, il ne m’évoquait rien du tout. Je ne connaissais de Samarkand que sa légende, brodée de soie, d’épices et de longues colonnes de marchands venus de Chine, du Moyen-Orient et de Byzance.

C’est quand je suis arrivée à Samarkand, devant une statue monumentale de ce héros ouzbek tranquillement assis sur son trône, que j’ai compris qu’il me manquait un élément. J’ai poliment hoché la tête d’un air connaisseur, et j’ai couru rattraper mon retard. Et comme je suis quelqu’un de sympa, je vous fais un petit récap sur ce digne successeur de Gengis Khan – histoire que vous ne soyez pas perdus si vous allez visiter Samarkand (ou à défaut si vous voulez briller à un dîner).

Alors qui était Tamerlan ?

Rien de moins que le fondateur des Timourides, une des plus grandes dynasties de l’Empire perse, et – accessoirement – celle qui écrivit la légende de Samarkand, ville mythique à la croisée des mondes durant près d’un siècle. 

Dans la chronologie perse, les Timourides viennent après la période mongole initiée par Gengis Khan (lui normalement vous en avez entendu parler). Ils règnent très exactement de 1370 à 1506.
Comme ça ne dit rien à personne, situons un peu : durant le règne des Timourides, le monde a connu l’apogée de l’Empire incas, la découverte des Amériques par Christophe Colomb, la naissance de Léonard de Vinci et l’imprimante de Gutenberg, la chute de l’Empire byzantin et le début de l’Inquisition espagnole. Vous voyez le décor ?

Les Timourides constituent une dynastie très importante et ambiguë. Brutale et cruelle, elle est à l’origine de destructions massives, de villes rasées et de massacres encore célèbres aujourd’hui. Mais elle est aussi une ère de mécénat des arts et des sciences telle qu’on parle de renaissance timouride. Cette ambiguïté remonte finalement à son fondateur, Tamerlan.
Laissez-moi vous le présenter.

Il a l’air sympa non ?

Tamerlan, ou la naissance d’un empire

Si les origines de Tamerlan sont débattues – turques ou mongoles ? – il naît dans l’actuel Ouzbékistan, dans le village de Kech, le 8 avril 1336. En France, à cette même époque, c’est le début de la guerre de 100 ans. Coïncidence ? Oui bon, peut-être.

L’Ouzbékistan, c’est là 🙂

La légende raconte que son père, chef de clan, vit en songe un ange brandissant une épée, présage d’un héritier qui conquerrai le monde par le fer et le sang.
L’héritier naquit, et on le baptisa Timour (ce qui signifie métal ou acier).

Timour eut une éducation dans les arts de la guerre bien sûr, mais également dans les lettres et dans l’étude du Coran parce que son père est un des premiers chef de clan convertis à l’Islam. Dès 16 ans, il rejoint l’armée de l’émir de Transoxiane (plus ou moins l’actuel Ouzbékistan), où il monte rapidement en grade.

Mais au gré des assassinats politiques et des luttes de clans (Game of Thrones n’a rien inventé), il finit rejeté dans la montagne et décide de reconquérir la Transoxiane tout seul. Ce fut dans ces années-là qu’il gagna son surnom, Timour Lang, (Timour le Boiteux, ce qui en russe devint vite Tarmerlan), après avoir pris une flèche dans le pied.

Une brève alliance avec son beau-frère lui permet de regagner pas mal de territoires, puis il se retourne contre lui et le bat. En 1369, son beau-frère est assassiné, et Tamerlan se fait proclamer roi de la Transoxiane. Il a 33 ans, et choisit Samarkand pour capitale.

C’est ici !

Tamerlan épouse alors Saray Mulk Khanoum, une princesse mongole, veuve dudit beau-frère, mais surtout issue de la lignée de Gengis Khan. Cela lui permet d’obtenir le très convoité titre de Güregen, ou Gendre impérial. Il ne s’est pourtant jamais fait nommer Khan (le plus haut grade de l’époque), mais Amir al-kabir (Grand Prince).

A partir de là, il a le champ libre pour construire sa légende.

En 30 ans, Tamerlan bâtit un empire immense, comprenant l’ensemble de la Perse et allant jusqu’à Dehli, qu’il dévasta. Ces conquêtes se firent toutes dans le sang et l’on raconte que en 1401, ayant pris Bagdad, il en fit massacrer 20 000 habitants et ordonna à ses soldats de rapporter au moins deux têtes humaines chacun. Les morts dues à ses campagnes militaires se chiffrent en millions.

En 1404 il s’élance même contre la Chine, mais il meurt de la fièvre et de la peste à Atrar (dans le sud de l’actuel Kazakhstan). Il a alors 68 ans.

Le petit empire Timouride

Si l’empire de Tamerlan fut difficilement maintenu par ses successeurs, Tamerlan fondit l’une des plus grandes dynasties de l’Empire perse, et laissa au monde Samarkand, joyau de sa couronne, où il avait fait venir de force tous les artisans et artistes de ses villes conquises.

Gour Emir, un mausolée grandiose

Tamerlan voulait être enterré sobrement, à l’instar de son modèle, Gengis Khan : « juste une pierre et mon nom dessus ». Mais l’histoire en décida autrement.

En 1403, son petit-fils préféré, Muhammed Sultan, qu’il avait choisi comme héritier, meurt en campagne. Tamerlan fait alors ériger un mausolée magnifique en son honneur. On raconte que, jugeant son dôme trop petit, il le fit détruire et en exigea un plus grand. Haut de 12,5 mètres sur 15 mètres de diamètre, ce dernier fut construit en 15 jours.

Ce mausolée est appelé Gour Emir, ce qui signifie Tombe de l’Emir. Il fut notamment une source d’inspiration pour la mosquée de Saint-Pétersbourg construite en 1910.

Tamerlan meurt deux ans plus tard et, une fois les luttes de succession réglées, on enterre son corps embaumé à côté de celui de son petit-fils préféré et de son maître à penser – le cheik Mir-Said-Bereke – dans le mausolée. Au fur et à mesure des années plusieurs héritiers de la couronne timouride vinrent rejoindre le fondateur de leur lignée, dont notamment Ulugh Beg.

Aujourd’hui Gour Emir est un haut lieu de pèlerinage en Ouzbékistan. La fin de l’URSS a privé ce jeune pays de sa figure tutélaire – Lénine -, que le gouvernement a remplacé par ce conquérant légendaire qui modela l’Asie Centrale autour d’un joyau, Samarkand. Les Ouzbeks sont donc nombreux à venir se recueillir dans la dernière demeure du père des Timourides.

Si jamais vous allez visiter le Gour Emir, vous remarquerez encore aujourd’hui une queue de cheval suspendue au-dessus d’une tombe. C’est la tombe du cheik Mir-Said-Bereke, et la queue de cheval signifie qu’un saint est enterré là. 

La malédiction de Tamerlan

Tamerlan, en tout modestie, fit graver une phrase toute simple et pleine d’optimiste sur sa tombe :

« Lorsque je reviendrai à la lumière du
jour, le monde tremblera ».

La nuit du 22 juin 1941, le médecin légiste russe Mikhaïl Gherassimov, qui a reçu l’autorisation officielle d’exhumer le corps de Tamerlan, ouvre la tombe. Cette nuit-là, Hitler lança l’opération Barbarossa contre l’URSS, la plus grande invasion militaire de l’histoire en termes d’effectifs mais aussi de pertes.

Résultat ? Encore aujourd’hui, Gherassimov est considéré comme le responsable de la guerre par certains habitants d’Asie centrale. En même temps faut avouer qu’il était prévenu.

Mais le plus beau dans cette histoire, c’est qu’en novembre 1942, la dépouille de Tamerlan est redéposée au Gour-Emir en suivant les rites islamiques. Quelques jours plus tard, les soviétiques défont Hitler à Stalingrad.
C’est la fin de la guerre.

Les Monts Karkas et le Zoroastrisme

Dimanche 10 mars, quelque part entre Kashan et Ispahan…

Il fait chaud aujourd’hui. Notre guide nous a baladé toute la matinée, de villes souterraines en wind tower, de désert de sel en désert de sable. Bercées par le roulement de la voiture, à peine perturbées par les cahots que provoquent les trous béants de la chaussée, nous somnolons légèrement (je somnole légèrement). La route défile : à notre droite, le désert étend ses langues de sables et de rocs jusqu’à l’horizon ; à notre gauche, un massif montagneux suffisamment haut pour être enneigé surgit brusquement du sol, sans signe avant-coureur. Ce sont les Monts Karkas, qui s’étirent sur une centaine de kilomètres, et dont le plus haut sommet frôle les 3 900 mètres d’altitude.

Le désert de Maranjab

Notre guide, ravi de l’occasion de nous sortir de notre hébétude, ne laisse pas passer sa chance. Le nom des Monts Karkas est à chercher du côté de l’époque zoroastrisme de l’Iran. En effet l’Iran est un pays musulman depuis les conquêtes arabes du VIIe et VIIIe siècles après Jésus-Christ, qui marquent la fin de la dynastie Sassanide. Mais avant cela, le pays était zoroastrien.

Le zoroastrisme, qu’est-ce que c’est ?

Le zoroastrisme est une religion monothéiste millénaire, dont le dieu s’appelle Ahura Mazdâ et dont le texte sacré est l’Avesta. Vous avez sûrement déjà entendu le nom de son prophète : Zarathoustra, qui a inspiré pas mal de philosophes européens dont Nietzsche.

Dans le zoroastrisme, Ahura Mazdâ a ordonné le chaos initial et créé le ciel et la Terre. Son enseignement repose sur le combat entre la Lumière (représentée par l’esprit saint Spenta Mainyu) et les Ténèbres (incarnées par Angra Mainyu, un esprit mauvais jumeau de Spenta Mainyu) – combat qui a lieu en chaque être.

Les êtres humains ont une âme éternelle et un libre arbitre. Ils sont jugés à leur mort, et vont – selon leur sentence – au ciel ou au purgatoire (mais pas en Enfer).

Les zoroastriens vénèrent le feu, comme symbole divin, et l’on peut encore voir en Iran de nombreux temples du feu. La plupart de leurs règles impliquent de respecter la Nature, de ne pas souiller les quatre éléments (le feu, l’air, l’eau et la terre), de faire le bien et de ne pas mentir.

Le zoroastrisme aujourd’hui

Le zoroastrisme a été religion d’État en Perse sous le roi Hystapsès, sous les Achéménides (époque du premier empire perse, il y a environ 1 500 ans) et sous les Sassanides (qui s’effondrent devant la conquête arabe). Mais même après l’islamisation du pays, le zoroastrisme se maintient dans la culture iranienne et, de manière générale, en Asie centrale (et ses diasporas). On estime qu’il y a environ 200 000 zoroastriens aujourd’hui dans le monde.

Nowruz par exemple est à la base une fête zoroastrienne, ce qui explique que l’on retrouve parfois l’Avesta sur les tables des Haft Sin du nouvel an iranien.

Fun fact : Freddie Mercury, le chanteur de Queen, est né dans une famille zoroastrienne.

Mais alors quel rapport avec ces montagnes ?

On y vient.

Nous avons dit que les zoroastriens respectent la Nature. Pour ne pas la souiller avec la décomposition de leurs cadavres, ils emportent les corps dans des Tours du silence, dans les montagnes, à l’écart des villes. Dans la tour, l’âme des morts reste trois jours, avant d’être jugée et puis envoyée au ciel ou au purgatoire, en attendant la victoire définitive du dieu Ahura Mazdâ sur le Mal, et le paradis terrestre qui suivra cette victoire. On est donc assez proche de la résurrection chrétienne.

Ce qui nous intéresse ici ce sont les Tours du silence. Les anciens Iraniens, pour ne souiller ni la Terre, ni l’eau, ni le feu, exposaient les cadavres en haut des Tours du silence, et les offraient ainsi aux vautours. Or en farsi, vautour se dit… Karkas. Voilà, vous voyez que je ne me suis pas perdue dans mon explication !

Aujourd’hui ces funérailles célestes ne sont plus pratiquées en Iran (elles le sont encore en Inde notamment), mais des Tours du silence demeurent, notamment dans la chaîne de montagnes qui en a tiré son nom : les Monts Karkas.  

Notre guide en tout cas est reparti ravi : comment aurait-il pu deviner qu’en français, la carcasse est le repas des Karkas ?

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