Vous prendrez bien un peu d’opium?

En Iran on peut trouver de l’alcool. Mais il faut connaître quelqu’un qui connait quelqu’un qui connait quelqu’un, et y mettre le prix. Un intrépide se risquera à tester « l’alcool maison » d’un ami d’un ami d’une connaissance, mais cette histoire se termine à l’hôpital par une discussion passionnée entre intrépide, médecins et autorités sur les circonstances à l’origine de tels taux de méthanol dans le sang.

Mais l’Iran, ce beau pays construit sur la contradiction, ne laissera pas l’intrépide se morfondre en situation de triste sobriété ou de terrible manque. C’est ainsi que tout naturellement, l’intrépide toxicomane se verra proposer, à plusieurs reprises, du haschich et de l’opium.

Et ça l’étonne.

Il s’imagine que dans la République Islamique d’Iran, si on ne plaisante pas avec l’alcool, on ne va certainement pas plaisanter avec des drogues comme le haschich ou l’opium. Mais on lui en a proposé. Une fois. Deux fois. Trois fois. L’intrépide est dérouté. Surtout par rapport à l’opium qui lui évoque de vagues images de bordels asiatiques de la fin du siècle dernier, de lampions éclairant d’une lumière rougeâtre les volutes de fumées qui s’échappent d’entre les tentures et des hommes décharnés, atones.

L’intrépide est saisi d’une crise de paranoïa. Est-ce un piège? La police à l’affut se cache-t-elle derrière la tenture du fond, prête à surgir après la première bouffée coupable qu’il aura tiré?  Ou bien l’opium serait-il vraiment toléré comme on le lui affirme?

Une fois n’est pas coutume, la réponse à cette interrogation peut être résumée de façon binaire selon les protagonistes en jeu. Pour les nomades, il s’agit d’une drogue traditionnelle et dont personne ne s’émeut. La police, à l’inverse, s’en trouvera tout particulièrement émoustillée.

Explications

En tant que drogues,  le haschich et l’opium sont interdits en Iran, mais sont relativement tolérés – par la population s’entend, parce que l’Etat, lui, prévoit jusqu’à la peine de mort. Cela s’explique notamment parce que ces drogues sont présentes depuis longtemps dans l’histoire du pays. Par exemple, la célèbre secte des Assassins du XIIIème siècle recluse dans la vallée d’Alamut, consommait du haschich pour se donner du courage avant de commettre des assassinats politiques – d’où le mot assassin, qui vient de Hashâchine. Pour ce qui est de l’opium, l’industrie pharmaceutique utilisant beaucoup les opiacés, l’Iran a dû se positionner en tant que pays producteur ou non, avec les conséquences économiques et sociales que cela implique.

Parce que nous avons été plus surprises de se voir offrir de l’opium que du haschich nous nous sommes penchées sur la question de l’opium en laissant de côté celle plus conventionnelle du haschich.

Au XIX siècle, répondant à la demande croissante de l’industrie pharmaceutique, l’Iran se positionne en pays producteur d’opium. Ce dernier se répand et se popularise au sein du pays. On commence à ouvrir des « maisons de traitement » et l’opium devient la réponse à toutes sortes d’afflictions, notamment les douleurs. Mais à mesure que l’opium devient populaire, son usage récréatif commence lui aussi à croître, et il n’est pas mal vu de prendre un thé ou un café infusé à l’opium.

Dans un souci de modernisation et d’assainissement du pays, les constitutionnalistes sont en 1911 à l’origine des premières lois anti-drogues à destination des consommateurs. Leur but est de « nettoyer » les villes des toxicomanes. Des fumeries commencent à fermer, la police fait des descentes dans les laboratoires clandestins…

En 1955, le gouvernement décide d’interdire culture et consommation d’opium, ce qui ne se fait pas sans répercussions. Premièrement d’un point de vue économique, le pays perd des revenus importants en ne fournissant plus l’industrie pharmaceutique. Le manque à gagner est chiffré à 400 000 dollars par tonne d’opium. Deuxièmement, malgré la répression, les toxicomanes s’approvisionnent sur le marché noir, notamment afghan, via les nomades qui transitent entre les deux pays.  Les fournisseurs exigent d’être payés en or, ce qui entraîne une fuite de devises.

Enfin, certains opiomanes font le choix de se tourner vers d’autres drogues, notamment l’héroïne, issue elle aussi du pavot et dont la consommation, ne nécessitant ni matériel ni rituel, est plus discrète. La consommation d’héroïne augmente singulièrement à partir de cette période.

En 1969, principalement pour des raisons économiques et géopolitiques, la culture de l’opium redevient légale, de même que son usage règlementé : les opiomanes « reconnus » de plus de 60 ans peuvent se fournir en pharmacie avec une carte issue du gouvernement. En théorie. En pratique, le coût, les conditions d’obtention ainsi que d’utilisation de cette carte étant rédhibitoires, la plupart des toxicomanes continuent à se fournir sur le marché noir.

Avec la révolution islamique de 1979, la chasse aux substances controversées est ouverte, l’opium redevient totalement illégal, mais la répression est plus particulièrement concentrée sur l’alcool. L’opium, comme l’alcool, est perçu comme un marqueur de l’occidentalisation rejetée par la révolution islamique. Les élites urbaines sont particulièrement suspectées d’être consommatrices et la sphère publique comme la sphère privée (à l’intérieur des habitations) font l’objet de descentes.

Aujourd’hui

Aujourd’hui, l’Iran n’est plus un pays producteur d’opium, et la substance demeure interdite. Mais l’Afghanistan, premier producteur mondial, alimente le marché noir européen et fait transiter sa marchandise par l’Iran. Une grande partie de l’opium en provenance d’Afghanistan n’ira toutefois jamais plus loin que l’Iran.

Mais si l’Iran reste un grand consommateur d’opium, d’autres drogues sont arrivées sur le marché, et le trafic de stupéfiants constitue un problème public de grande ampleur qui concerne les classes aisées au même titre que les classes pauvres et très pauvres (délinquance, maladies, conséquences socio-économiques au niveau de l’individu et du noyau familial…). A tel point que le gouvernement, en plus de sa politique répressive (explosion du nombre d’arrestation liées aux stupéfiants, peines répulsives dont la peine capitale), a mis en place des mesures préventives de santé publiques particulièrement progressistes. Entre autres mesures, la distribution de seringues pour éviter la propagation de maladies comme le VIH, la possibilité de se fournir en pharmacie en méthadone de substitution pour gérer la douleur et le manque…

Malgré toutes ces informations et la nonchalance que témoignent ses hôtes, l’intrépide préfère se montrer prudent et rester dans les limites de la légalité iranienne. Il refuse poliment les offres qui se succèdent – on ne sait jamais.

Sources :

Ghiabi, Maziyar. « Drogues illégales et gestion de l’espace dans l’Iran moderne », Hérodote, vol. 169, no. 2, 2018, pp. 133-151. https://www.cairn.info/revue-herodote-2018-2-page-133.htm

Mark Isaacs – Smoking Opium in the islamic republic of Iran

Les portes à deux heurtoirs

WTF Iran #2

Vous voilà arrivé à Yazd, dans la vieille ville. C’est très beau, surtout l’hôtel où vous avez décidé d’élire domicile pour quelque jours . Il y a une grande cour intérieure avec une fontaine bleue, des arbres et des fleurs, des petits oiseaux… Il y a même une wind tower en accès libre et gratuit ! Et voilà une visite en moins! Vous vous félicitez de votre choix judicieux, et vous avez raison. Comme d’habitude.

Grand prince que vous êtes, vous ne vous vexez même plus lorsqu’un autochtone n’arrive pas à se souvenir correctement de votre nom. Vous avez trouvé une parade infaillible : aujourd’hui vous êtes Jean. Juste Jean. Et Jean, c’est facile à retenir et à prononcer. Et vous avez vérifié : ça ne veut rien dire de spécial en farsi.

Dans votre fabuleuse petite cour intérieure, où le thé est lui aussi en accès libre et gratuit, vous rencontrez un hybride : moitié touriste – moitié local, il parle presque couramment le farsi et vous le voyez soutenir des conversations avec des autochtones et s’obstiner en farsi, même lorsque l’interlocuteur s’essaie à l’anglais. Vous êtes impressionné mais n’en laissez rien paraître. Il a l’air gentil. Vous avez envie d’aller lui parler. Il pourrait vous aider à aller faire quelques emplettes, il doit connaître les chiffres farsi. Vous avez toujours un peu de mal avec les rials et les tomans, et les taux de change de marché et de banques vous donnent toujours la migraine… Cet hybride pourrait constituer un atout non négligeable dans cette ville. Vous allez lui parlez.

Vous avez eu raison d’aller lui parler, cet hybride est tout à fait fréquentable et connaît bien la ville et les nombres. Vous partez donc faire des emplettes ensembles. Il vous emmène dans un dédale de petites rues étroites dont les murs des maisons sont en adobe, le torchis local. Il fait beau. Vous vous sentez bien. L’hybride vous raconte quelques anecdotes. On dirait le guide de la maison historique de Kashan, mais en moins présomptueux. Lui n’essaie pas de montrer qu’il sait mieux tout que tout le monde.

Il est sympa cet hybride. Sur cette pensée, vous vous apprêtez à lui demander son prénom. Ca fait au moins cinq heures que vous avez fait connaissance, vous pensez être devenu suffisamment familier pour lui demander son prénom. Il ne vous trouvera sans doute pas trop téméraire étant donné qu’il est hybride. Mais l’hybride vous prend de court

« Jean, as-tu remarqué cette porte? Elle a deux heurtoirs différents. Il y en a un peu partout dans les vieilles villes. As-tu remarqué ? « 

Une vieille porte perse à deux heurtoirs, sur un mur en adobe.

Vous ne savez pourquoi, mais soudainement l’hybride vous agace et vous n’avez plus envie de lui demander son prénom. Si vous n’avez rien remarqué, c’est parce qu’il n’arrête pas de parler. Vous étiez poliment concentré sur ses paroles et non sur la porte des maisons. Vous prenez une grande inspiration pour vous calmer. Ça fonctionne, vous vous détendez. Ces deux dernières semaines à pratiquer 5 minutes de méditation par jour portent déjà leurs fruits. Mais c’est aussi parce que vous apprenez sacrément vite.

Vous souriez, un peu crispé tout de même, et demandez aimablement ce qu’il y a de si extraordinaire avec ces heurtoirs. L’hybride ne remarque pas que la tension est montée d’un cran et ne se départit pas de sa verve.

« Jean, ouvre tes yeux, tu ne vois rien! »

Grand dieu, 5 minutes de méditation ne seront jamais suffisant pour supporter pareille attaque! Vous réfléchissez rapidement à le pousser sous les roues de la voiture qui arrive derrière vous. La rue est à peine assez large pour la voiture, impossible de se rater. L’hybride, qui visiblement n’observe pas si bien que ça, continue.

« Il y a un heurtoir destiné aux visiteurs hommes uniquement, l’autre pour les visiteurs femmes, chacun produisant un son différent. De cette façon, lorsqu’un visiteur utilise le premier, c’est un homme qui va ouvrir et le visiteur mâle s’en va converser avec les individus de son genre. Quand c’est l’autre heurtoir, celui dédiée aux visitrices qui est utilisé, alors c’est une femme qui va ouvrir. »

L’hybride n’est pas très bon en français. Vous alliez le lui faire remarquer mais il continue.

« Cet ingénieux système vise très certainement à enforcer les règles de bienséance et éviter quelques malentendus entre les habitants de la maisonnée. Mais bien sûr, les amoureux trouvent toujours à contourner les règles! Ainsi, lorsqu’un jeune homme veut rendre visite à sa dulcinée, ils conviennent d’une heure en se rencontrant discrètement par hasard au bazaar. A l’heure dite, l’amoureux utilise le heurtoir des femmes. Sa fiancée se précipite alors pour lui ouvrir et ils peuvent se faufiler, incognito dans quelque pièce isolée de la maison afin de vaquer à leurs affaires d’amoureux ».

La voiture est passée. Aucune autre à l’horizon. Vous pousserez l’hybride la prochaine fois. Vous lui souriez innocemment. 

Les wind towers ou la climatisation du désert

L’Iran est un pays splendide et composite. C’est à peu de choses près comme ça que nous décrivons ce pays à nos amis et notre famille. L’exemple que nous prenons généralement, parce qu’on radote, c’est lorsqu’on traverse un désert en voiture et qu’on aperçoit au loin les montagnes enneigées. A peine avons-nous le temps de nous en émerveiller que le désert cède la place à d’imposants canyons presque sortis de nulle part, les sommets enneigés toujours au loin. Puis de la steppe. Et aussi soudainement, on est dans la montagne, dans un petit village creusé à même la roche, rouge. C’est beau et c’est grandiose. On ne s’y attend pas. C’est l’Iran.

Star Wars ?

Les villes ne sont pas en reste. Ça fourmille dans les rues, la circulation est toujours impressionnante, les boutiques, petites, mais fournies, sont toujours pleines de monde. En contraste de ces lumières, de ce monde et de ce bruit, on s’émerveille devant la majesté des maisons historiques en briques ou en adobe, des jardins, des mosquées anciennes et de leurs minarets, des « Wind Towers » qui déchirent l’horizon…

La Wind Tower, « badgir » en farsi, littéralement attrape vent est l’un des exemples les plus fameux de l’ingéniosité perse pour ce qui est de la gestion de la chaleur. Désert oblige. Elles ressemblent à une sorte de grande cheminée, la plupart du temps carrées ou octogonales et percée de fentes à leur sommet. Le principe est de capter le vent au sommet de la tour depuis les fentes, de le redistribuer en bas, refroidi et d’évacuer l’air chaud accumulé dans la pièce où la tour est située. Ce système est utilisée pour refroidir les maisons, les mosquées, mais aussi les réservoirs d’eau de la ville. L’eau en resterait presque glacée pendant les mois d’été. Le touriste suspicieux de la grandiloquence de son guide reste dubitatif. Mais il s’incline lorsqu’il pénètre dans une pièce alimentée par une wind tower et remet aussi vite sa petite laine. A croire que toutes ces tours qu’il a pu voir n’ont finalement pas été un caprice devenu à la mode d’un obscur Khan.

Comment ça fonctionne?

Tout est une question d’architecture, pour capter le vent et le diriger.
Et de pression, pour faire circuler l’air.
Et de matériaux, pour limiter la transmission de chaleur.

La tour est séparée en différents conduits où circulent l’air chaud ou froid. A son sommet, elle est ouverte en fentes légèrement obliques ce qui permet d’attraper le vent et de le rediriger vers le bas. Même lorsqu’il n’y a que peu de vent, la différence de pression entre l’air chaud et l’air frais permet la circulation de l’air via les différents conduits qui séparent la tour : l’air chaud remonte, l’air frais descend. Lorsqu’il n’y a pas de vent, l’air contenu dans la tour se réchauffe, donc remonte, ce qui créée un appel d’air qui ventile la pièce où se trouve la tour.
Par ailleurs, la tour est construite en une sorte de torchis appelé adobe, mélange de terre, argile, sable, fibre naturelle. Ce matériau, à la différence par exemple de la pierre ou du métal, conduit mal la chaleur.
Souvent, on rajoute un bassin au pied de la tour pour refroidir encore davantage l’air chaud, la plupart du temps rempli par un qanat. Un qanat, c’est un très ancien système de canalisation souterraine qui récupère l’eau des montagnes et l’achemine jusque dans le désert. L’eau est très fraîche puisque jamais en contact avec le soleil.
En agrégeant le froid, notamment la nuit, l’eau permet de refroidir l’air chauffé par le soleil de la journée.

La climatisation est plus ancienne qu’on ne le croit.

La climatisation du futur?

On retrouve des sortes de wind towers en ancienne Egypte, datée autour de 1 300 ans avant JC. Aujourd’hui, des grands chantiers, notamment en Iran, les réintroduisent dans leurs projets architecturaux. Les wind towers redeviennent pertinentes.
Les matériaux utilisés pour leur construction sont économiques et durables ; le système de refroidissement ne nécessite pas de matière première et le vent est sa seule alimentation. 

Les wind towers seraient-elles la climatisation écologique du futur? Écologiques, durables, autonomes, orientables et modulables selon les vents pour plus d’optimisation, moins imposantes et plus esthétiques qu’une éolienne… C’est en tout cas une voie à explorer et à démocratiser.

Pour aller plus loin

http://www.inive.org/members_area/medias/pdf/Inive%5Cpalenc%5C2005%5CGhaemmaghami.pdf
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