Les Monts Karkas et le Zoroastrisme

Dimanche 10 mars, quelque part entre Kashan et Ispahan…

Il fait chaud aujourd’hui. Notre guide nous a baladé toute la matinée, de villes souterraines en wind tower, de désert de sel en désert de sable. Bercées par le roulement de la voiture, à peine perturbées par les cahots que provoquent les trous béants de la chaussée, nous somnolons légèrement (je somnole légèrement). La route défile : à notre droite, le désert étend ses langues de sables et de rocs jusqu’à l’horizon ; à notre gauche, un massif montagneux suffisamment haut pour être enneigé surgit brusquement du sol, sans signe avant-coureur. Ce sont les Monts Karkas, qui s’étirent sur une centaine de kilomètres, et dont le plus haut sommet frôle les 3 900 mètres d’altitude.

Le désert de Maranjab

Notre guide, ravi de l’occasion de nous sortir de notre hébétude, ne laisse pas passer sa chance. Le nom des Monts Karkas est à chercher du côté de l’époque zoroastrisme de l’Iran. En effet l’Iran est un pays musulman depuis les conquêtes arabes du VIIe et VIIIe siècles après Jésus-Christ, qui marquent la fin de la dynastie Sassanide. Mais avant cela, le pays était zoroastrien.

Le zoroastrisme, qu’est-ce que c’est ?

Le zoroastrisme est une religion monothéiste millénaire, dont le dieu s’appelle Ahura Mazdâ et dont le texte sacré est l’Avesta. Vous avez sûrement déjà entendu le nom de son prophète : Zarathoustra, qui a inspiré pas mal de philosophes européens dont Nietzsche.

Dans le zoroastrisme, Ahura Mazdâ a ordonné le chaos initial et créé le ciel et la Terre. Son enseignement repose sur le combat entre la Lumière (représentée par l’esprit saint Spenta Mainyu) et les Ténèbres (incarnées par Angra Mainyu, un esprit mauvais jumeau de Spenta Mainyu) – combat qui a lieu en chaque être.

Les êtres humains ont une âme éternelle et un libre arbitre. Ils sont jugés à leur mort, et vont – selon leur sentence – au ciel ou au purgatoire (mais pas en Enfer).

Les zoroastriens vénèrent le feu, comme symbole divin, et l’on peut encore voir en Iran de nombreux temples du feu. La plupart de leurs règles impliquent de respecter la Nature, de ne pas souiller les quatre éléments (le feu, l’air, l’eau et la terre), de faire le bien et de ne pas mentir.

Le zoroastrisme aujourd’hui

Le zoroastrisme a été religion d’État en Perse sous le roi Hystapsès, sous les Achéménides (époque du premier empire perse, il y a environ 1 500 ans) et sous les Sassanides (qui s’effondrent devant la conquête arabe). Mais même après l’islamisation du pays, le zoroastrisme se maintient dans la culture iranienne et, de manière générale, en Asie centrale (et ses diasporas). On estime qu’il y a environ 200 000 zoroastriens aujourd’hui dans le monde.

Nowruz par exemple est à la base une fête zoroastrienne, ce qui explique que l’on retrouve parfois l’Avesta sur les tables des Haft Sin du nouvel an iranien.

Fun fact : Freddie Mercury, le chanteur de Queen, est né dans une famille zoroastrienne.

Mais alors quel rapport avec ces montagnes ?

On y vient.

Nous avons dit que les zoroastriens respectent la Nature. Pour ne pas la souiller avec la décomposition de leurs cadavres, ils emportent les corps dans des Tours du silence, dans les montagnes, à l’écart des villes. Dans la tour, l’âme des morts reste trois jours, avant d’être jugée et puis envoyée au ciel ou au purgatoire, en attendant la victoire définitive du dieu Ahura Mazdâ sur le Mal, et le paradis terrestre qui suivra cette victoire. On est donc assez proche de la résurrection chrétienne.

Ce qui nous intéresse ici ce sont les Tours du silence. Les anciens Iraniens, pour ne souiller ni la Terre, ni l’eau, ni le feu, exposaient les cadavres en haut des Tours du silence, et les offraient ainsi aux vautours. Or en farsi, vautour se dit… Karkas. Voilà, vous voyez que je ne me suis pas perdue dans mon explication !

Aujourd’hui ces funérailles célestes ne sont plus pratiquées en Iran (elles le sont encore en Inde notamment), mais des Tours du silence demeurent, notamment dans la chaîne de montagnes qui en a tiré son nom : les Monts Karkas.  

Notre guide en tout cas est reparti ravi : comment aurait-il pu deviner qu’en français, la carcasse est le repas des Karkas ?

2 réflexions sur « Les Monts Karkas et le Zoroastrisme »

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